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ORPHÉE

Voici l'esquisse d'un poème dont je compte composer la musique pour guitare (ou luth) et voix sur le thème d'Orphée à l'intention de ma fille Lise (mezzo-soprano). Il évoque la séparation, la descente aux enfers, l'ascension vers la lumière. Il est structuré entre deux silences.

Cercle

Silence.
Silence des oiseaux à l'aube.
La muraille du temps prend des couleurs marines.
Silence.
Silence des fleurs à midi.
Le tambour du soleil frappe les fronts meurtris.
Silence.
Silence des vagues le soir.
La cloche des marées bat son rythme liquide.
Silence.
Silence des amants la nuit.
L'espace de leurs yeux s'ouvre sur le vertige.
Paix.
Paix des oiseaux à l'aube.
Paix fragile mais paix.
La terre est endormie.


Complainte d'Orphée

Où es-tu, mon Eurydice?
Le silence est tombé sur ta robe légère.
La nuit sculpte ton corps de larmes et de cris.
Je n'entends plus tes pas, je n'entends plus ton souffle
En ce lieu de souffrance où je te cherche en vain.
Je ne vois plus tes yeux, je ne vois plus ta bouche
Et mon coeur se dilue dans un présent sans fin.

Où es-tu, mon Eurydice?
Je ne vois plus ton corps, mais l'ai-je jamais vu?
Ai-je jamais porté mon regard sur ta peur?
Ai-je jamais osé affronter ton malheur?
Mes yeux vides d'aveugle parcourent les ténèbres
De ma conscience pleine de spectres encombrants.
Je ne t'ai jamais vue! Je ne t'ai jamais vue!

Qui es-tu, mon Eurydice?
L'inquiétude tisse un linceul d'illusions
Dans les nuages gris d'un soir interminable.
Je te sens si lointaine et si proche à la fois
Que dans l'inconsistance étrange de ton être
Je ne sais si c'est toi qui me suis comme une ombre
Ou si tu n'es en fait que l'ombre de moi-même.

Qui es-tu, mon Eurydice?
Qui es-tu en ce lieu où dorment des géants?
Les pierres assoupies rêvent un chant nocturne
Et je sens bien qu'il suffirait d'un léger souffle,
D'un battement de cils, d'un courant d'air, d'un rien,
Pour que tu disparaisses, ombre parmi les ombres,
Puisque tu n'as été que ce tremblotement
D'un mirage posé sur le sable des nuits.


Le printemps d'Orphée (attente d'Eurydice aux enfers)

Il n'est aucun recours
Le printemps
Paie son tribut de braise aux forges de la vie

De sombre tours se dressent
L'or du soir s'y repose
Un instant tous les feux pleurent un chant d'adieu

Des parfums vifs composent
D'étranges symphonies de couleurs et de sons

Dans ce vacarme obscur se cache le silence
Et toutes les musiques
S'éteignent dans le vague et dans le vague crient
Un cri silencieux qui pénètre l'aurore

Crépuscule du soir aux accents du matin
J'attends depuis longtemps
Depuis toujours j'attends

J'attends depuis longtemps que tu me fasses signe
Entre deux océans
Au carrefour des vies
Au détour d'un instant sur la plume d'un cygne
Et dans le vol léger des oiseaux de la nuit


Joie d'Eurydice en retrouvant Orphée

La joie de te revoir
La joie
Comme un cri de soleil
Comme un silence fou
La joie
Comme l'herbe au matin baignée de jour naissant
Comme un soir éternel
La joie
Cet or sur ton visage
Ces ruisseaux dans ta voix
La joie
Ces fleurs jamais fanées d'un printemps revenu
Ces chants toujours aimés
La joie
Ton sourire trouvé dans une cathédrale
Et ces pierres brodées
Et ces lumière folles
La joie
Jamais interrompue et pourtant si fragile
Plume d'ange perdue
La joie
Tant de souffles jaillis
Tant de voiles gonflées
La joie
Là où le coeur se tait épris de son absence
Là où la mort se meurt de rêves fécondée
Là où tout recommence
La joie
Eternité perdue et pourtant retrouvée
Les marées de tes yeux font le tour de la Terre
Et chantent dans les blés
La joie
Une forêt de marbre inondée de lumière
Et partout sur ton corps de sable incandescent
Sur ton visage clair comme une plage vide
Sur les écorces bleues des falaises marines
Partout dans le vacarme étouffé de la nuit
Dans l'immense océan de notre solitude
Aux marges de l'automne et au coeur de l'été
La joie de te revoir mon Amour mon Orphée


Chemin de croix

La mort est un chemin d'absence.
Le temps n'existe pas.
Nos pas effleurent en silence
Des soleils qui ne brillent pas.

Nous allons jusqu'au bout du monde.
Où es-tu ? Je ne te vois pas.
Nous marchons. La nuit est profonde
Mais j'entends des oiseaux là-bas.

Là-bas je sens une lumière,
J'entends des voix qui se sont tues,
Des lamentations, des prières.
Où es-tu, dis-moi, où es-tu ?


Elévation d'Orphée

« Un regard plein de larmes ne peut plus mentir ni se mentir à lui-même. Il n'est pas sûr de ce qu'il sait, mais il devine. Il s'approche de ces contrées inexplorées, de ces mondes obscurs et inquiétants qu'il lui faut traverser pour trouver la lumière. Il fait face à ses ombres et ses fantômes. » (Catherine Bensaïd, La musique des anges).

La lumière est tout près.
Je la sens, la lumière.
Dans ce couloir obscur
Les ombres se prolongent.
De fulgurantes peurs
Brillent dans le silence,
Dans les crépitements
De la nuit étouffée,
Dans la nuit de la nuit,
Noire éternellement.

La lumière est tout près.
Bientôt, cette grisaille
Qui se plante, sournoise,
Dans ma chair répandue
Et pond ses oeufs maudits
Au sein de ma mémoire
Ne sera plus qu'un cri
Déchiré de soleil.
La lumière est tout près.

Je sens ce vent léger
Sur la robe du monde;
Ce vent de terre nue,
De silence et de blé.
Je sens ce vent léger
D'herbe coupée, de roses,
Que le limon des jours
Dépose au creux des lits.
Je sens ce vent léger,
Ce vent léger d'aurore,
Naissant et renaissant
Dans le printemps des mers
Et dans le coeur du sable.
Je sens ce vent léger,
Je sens ce vent léger.

Je ne sais rien de toi
Qui me suis, qui me hantes,
Spectre des jours anciens,
Miroir de mes absences,
Femme recomposée
Dans l'argile des nuits,
Femme de tous les âges
Et de toutes les vies.
Je ne sais rien de toi,
Si ce n'est que je n'ai
Jamais vu ton visage,
Femme de fleurs séchées,
De dunes et de pluies.

Je ne sais rien de toi
Que je n'aie dit moi-même,
Mensonge doux des mots,
Bonheur discret, délire
De tout ce que l'on crée
Conforme à ses désirs.
Je ne sais rien de toi
Que je n'aie inventé.

Je sens ce vent léger
Qui caresse mes yeux
Et tremble à mes paupières,
Larme de papillon
Perdu contre une vitre
Et qui se heurte en vain
Aux sources de l'aurore.
Je sens ce vent léger,
Comme un frémissement
De rêves incolores,
Comme un bruit impalpable
Et flou sur les versants
Incertains de l'angoisse.

Je sens ce vent léger
Qui fait tourner ma tête.
Es-tu là? Es-tu morte
Ou n'es-tu qu'un fantôme
Flottant sur les débris
D'un naufrage oublié?
Je sens ce vent léger
Qui sème l'inquiétude
Puisque je ne sais plus
Soudain si tu es là,
Si c'est bien toi qui suis,
Transparente, mes pas,
Ou si c'est moi qui meurs
De te vouloir vivante,
En robe de printemps,
Femme parmi les femmes,
Blanche épouse du vide.

Je vais te regarder.
Je le sais. Je ne peux
Revenir à la vie
Avec une chimère.
Tu n'es peut-être pas
La femme que je crois.
Non, tu n'es pas vraiment
Cette épouse modèle
Qui a su résister
A toutes les tempêtes.

Je vais te regarder.
Je ne peux revenir
Seul au monde avec toi.

Je vais te regarder.
Je n'entends pas ta voix,
Je ne sens pas ton souffle,
Femme de mes envies,
Sans cesse profanée.

Je vais te regarder
Comme on regarde un lac
Lorsque passe dessus
Un arc-en-ciel d'oiseaux
Et que le soleil brûle
Et que l'ombre dissout
Toutes les illusions
Dans la fureur du monde.

Je vais te regarder
Une dernière fois.
Dans les yeux. Seul à seul.
Enfin tel qu'en moi-même,
Sans crainte et sans colère,
Comme un petit enfant
Qui regarde une fleur
Pour la première fois.

Je vais te regarder
Pour la première fois.

Je vais te regarder
Pour la dernière fois.


Complainte d'Eurydice

Dans ma bouche sans voix dorment des mots sans âme.
Prisonnière d'un corps aveugle, sourd, muet,
Je flotte, inconsistante et mon coeur se défait,
Tremble, pleure et se noie dans les draps de la nuit.
Je me souviens du temps où j'étais une femme,
Je me souviens du temps où j'avais un mari.

Ici je ne suis rien, ombre parmi les ombres.
Il me semble parfois, comme dans un délire,
Entendre s'élever le chant plaintif des lyres.
Alors il me revient une présence chère
Qui me parle et me berce en ce dédale sombre
Et j'oublie un instant que je suis en enfer.

Est-ce toi, mon Orphée, mon homme, mon enfant?
Es-tu mort de chagrin à ton tour, mon ami?
Viens-tu me tourmenter? Je sais, je suis partie
Trop tôt. Ne me regarde pas, je t'en conjure!
Je ne suis plus ta reine, ta belle au bois dormant,
Je ne suis plus ta femme. Je suis une imposture.

Ecoute-moi, Orphée, je ne suis plus ta reine,
Ton ange possédé, ton bien et ta parure.
Ne me regarde pas, Orphée, je t'en conjure!
Je n'ai jamais été rien d'autre qu'un mensonge
Et dans ce lieu maudit où je purge ma peine
Il me semble parfois que je ne suis qu'un songe.

Ton charme te permet de traverser la Terre.
Rien ne peut résister à ce chant bienheureux.
Tu sais te concilier hommes, bêtes et dieux.
Rien de ce qui se meut, rampe, vit ou respire
Ne peut impunément entendre cette lyre
Capable d'entrouvrir les portes de l'enfer.

Ne me regarde pas. Je n'ai plus de visage.
Mes yeux, mes pauvres yeux se diluent dans l'espace.
Je n'ai plus d'avenir et mon passé s'efface
Dans ce présent sans fin, dans ce monde glacé
Où viennent s'échouer des marées sans rivages,
Des lunes englouties, des chants désespérés.


Cercle

Silence.
Silence des oiseaux à l'aube.
La muraille du temps prend des couleurs marines.
Silence.
Silence des fleurs à midi.
Le tambour du soleil frappe les fronts meurtris.
Silence.
Silence des vagues le soir.
La cloche des marées bat son rythme liquide.
Silence.
Silence des amants la nuit.
L'espace de leurs yeux s'ouvre sur le vertige.
Paix.
Paix des oiseaux à l'aube.
Paix fragile mais paix.
La terre est endormie.

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